Concerto n°1 Opus 11
en quintuor
1. Allegro maestoso
2. Romance (Larghetto)
3. Rondo (Vivace)
Instrument
de l'âme romantique, aux nuances infinies, le piano-forte acquiert à l'orée
du XIXe siècle une aura sans précédent. Non content
d'attirer à lui la majeure partie du répertoire soliste, il
s'infiltre dans nombre de partitions de chambre, au point de remettre en
question l'équilibre classique. Les ensembles avec piano disputent
dorénavant au quatuor à cordes sa suprématie. Parmi
ceux-ci, depuis Schumann, le quintette avec piano principal et quatuor de
cordes occupe une place royale. Non loin, paradoxalement, se tient le concerto
pour piano et orchestre, quand ce dernier se voit réduit à un
quintette de cordes en vue d'une exécution plus intimiste, et donc
plus fréquente. Etonnante aujourd'hui, cette solution était
habituelle au siècle dernier et même avant (Mozart réalisa
lui-même des version pour quatuor à cordes et piano de ces concertos).
En l'absence de tout moyen de reproduction sonore, la musique vivait essentiellement
au rythme des salons, et bien souvent les les chefs-d'uvre du répertoire
ont dû se contenter de cet écrin discret mais efficace et séduisant.
Seuls, ceux aux riches parties de vents demandaient l'ajout d'un petit clavier
pour distiller les voix absentes. «Réductrice» au meilleur
sens du terme, la démarche est assez comparable au principe, bien établi,
des transcriptions, pour clavier des symphonies et opéras.
L'histoire du Concerto en mi mineur op. 11 de Chopin, tel qu'il fut exécuté dans
les salons de Pleyel à Paris, le 26 février 1832, est à cet égard
révélateur, mais il en allait déjà de même à Varsovie
où furent composées et créées les pages concertantes
du pianiste. Accueilli par l'aristocratie polonaise, l'émigré avait été présenté au
Tout-Paris, et sa première apparition publique bénéficia
du soutien de la presse comme des meilleurs artistes. Parmi un public d'élite,
on pouvait reconnaître Liszt et Mendelssohn et, du côté des
exécutants, Chopin était entouré de
Kalkbrenner, qui l'honora d'une Grande Polonaise pour six pianos, et du quintette
de Pierre Baillot, qui exécuta un quintette à cordes de Beethoven
et accompagna le soliste dans une ou deux oeuvres concertantes, le Concerto
en mi mineur, précisément dédié à Kalkbrenner,
et, peut-être, les Variations op. 2.
De l'arrangement sûrement talentueux mais semi improvisé qu'a
pu jouer le quintette Baillot en 1832, il ne reste pas trace. Peut-être
inspira-t-il celui, enregistré ici, pour «quintuor» de R.
Hofmann, publié chez Kistner à Leipzig. En fait, un sextuor,
puisque le soliste - dont la partie est inchangée - dialogue avec un
quatuor à cordes, particulièrement actif, soutenu d'une contrebasse.
Cette version, en réalité, ne respecte que peu l'esprit d'une
véritable transcription puisqu'il ne s'agit, en réalité,
que des parties d'orchestres presque inchangées, d'où une certaine
maladresse d'écriture en quintette. C'est donc une transcription réalisée
par Baudime Jam et publiée par les Éditions du Mélophile qui est utilisée
par le Quatuor Prima Vista.
Plus qu'aux concertos de Beethoven et aux modèles mozartiens, le jeune
Polonais se réfère au pianisme brillant ou élégiaque
de Hummel et Weber, et au mélos de Bellini. Avec perspicacité,
Fétis détecte : «Voici un jeune homme qui, s'abandonnant à ses
impressions naturelles et ne prenant point de modèle, a trouvé,
sinon un renouvellement complet de la musique de piano, au moins une partie
de ce qu'on cherche en vain depuis longtemps, c'est-à-dire une abondance
d'idées originales dont le type ne se trouve nulle part. Ce n'est point à dire
que Mr Chopin soit doué d'une organisation puissante comme celle de
Beethoven, ni qu'il y ait dans sa musique de ces fortes conceptions qu'on remarque
dans celle de ce grand homme : Beethoven a fait de la musique de piano; mais
je parle ici de la musique des pianistes, et c'est par comparaison avec celle-ci
que je trouve dans les inspirations de M. Chopin l'indication d'un renouvellement
de formes qui pourra exercer par la suite beaucoup d'influence sur cette partie
de l'art.»
De son côté, Schumann voyait en Chopin «le plus hardi et
fier génie poétique de l'époque» et jugea qu'un
concerto du jeune maître valait mieux qu'une année entière
de critiques musicales. C'est dire son admiration. D'ailleurs Clara Wieck,
sa fiancée, jouait les pages concertantes du Polonais avec dilection.
En trois mouvements, le premier lancé par une vaste exposition orchestrale,
le Concerto en mi se plie à une facture toute classique d'apparence.
Son originalité et sa singulière éloquence tiennent à un équilibre
tonal inhabituel, dans son statisme initial comme dans ses vagabondages ultérieurs,
et à l'abondance d'idées contrastées. Puissant panache
du thème initial, couleur slave de la Krakoviak finale, mais surtout "vocalité" des
motifs mélodiques de l'Allegro maestoso et de la rêveuse Romance,
introduite par les cordes avec sourdine. Le Bel canto agile de Rossini,
le mélancolique canto spianato de Bellini sont à la source de
l'incomparable modelé des phrases chopiniennes aux mélismes a
piacere, de ces phrases «au long col sinueux et démesuré,
si libres, si flexibles, si tactiles», selon Proust.
Quant au Deuxième Concerto, il en existe une version dite “avec quintuor” qui fut publiée au XIXe siècle par Breitkopf & Härtel, mais il s’agit en fait des parties de cordes de l’orchestre et nullement d’un arrangement. Les parties de violon portent les indications divisi et tutti, sans que les doubles cordes ou les doublures d’octaves n’aient été corrigées ; mais principalement, les phrases confiées aux instruments à vent ne sont pas reprises et distribuées entre les instruments du quintette à cordes. Baudime Jamen a donc réalisé une authentique transcription pour quintette à cordes.