Préface de Jean-Jacques Le Moan

 


Toi l’Auvergnat...


Clermont-Ferrand, Auvergne, 1783.

Le livre que vous avez entre les mains n’est pas un livre comme les autres : il résulte de tant d’efforts à faire surgir de l’ombre un musicien encore trop méconnu en son propre pays - George Onslow.


Après s’être attaqué à une biographie(1) aussi complète que possible du compositeur et de l’homme il y a maintenant une dizaine d’années, Baudime Jam souhaite aujourd’hui éclairer mieux cette vie en la replaçant dans le contexte géographique qui l’a pour une grande part déterminée : l’Auvergne. Où George Onslow est né, où il est mort, où il aura vécu la majeure partie de son existence.


Ce méconnu notoire au patronyme si britannique, était donc Auvergnat : le hasard et les vicissitudes de son temps ayant poussé son père à émigrer, d’autres hasards encore l’ayant mené parmi les Auvergnats, il est né Auvergnat.


Saint-Mandé, Ile-de-France, 1979.

Le hasard des rencontres mènent parfois à des passions durables : ainsi celle que je fis à la fin des années 70 chez un disquaire de Saint-Mandé. Quelques disques aux pochettes monochromes indiquaient un nom qui m’était familier, ONSLOW. Je connaissais les Onslow parce qu’ils avaient été les châtelains d’un village du Cantal. À Laurie (2), il ne subsistait alors que quelques pierres du château qui avait brûlé en 1879, mais j’avais essayé de réunir sur cet endroit et ses propriétaires tous les renseignements qu’il était possible de trouver. Mais pas même une image peinte, gravée ou photographique ne semblait avoir subsisté... Tout au plus un paysan du village, sculpteur à ses heures, avait-il laissé une sorte de réduction naïve taillée dans le bois ; ou encore le vieux cadastre de 1812 avait-il conservé l’implantation des bâtiments ; ou encore le cadastre d’aujourd’hui indique-t-il des « prés du château » sous l’actuelle auberge du petit village. Dans les registres de la Mairie pourtant les patronymes des Bourdeilles et des Onslow se distinguaient assez vite des autres par leur graphie curieuse et élégante. Les jours précédant mon mariage dans la belle église de Laurie, j’avais pu les y remarquer.


Sept ans plus tard chez ce disquaire de Saint-Mandé, attiré par les pochettes vert et bistre de ces 33 tours qui étaient bien en vue dans la vitrine, j’avais poussé la porte et demandé quelques éclaircissements à la personne qui m’avait accueilli. C’était la propriétaire des lieux et elle m’avait répondu que j’étais arrivé là « le bon jour », que justement le spécialiste de George Onslow, Carl de Nys (3), était dans ses murs et qu’il pourrait m’en dire plus... Je fus donc invité à descendre au sous-sol, transformé en une sorte d’auditorium spacieux et à l’abri des bruits de la rue.


L’homme qui parut devant moi avait des allures de Liszt, d’un autre âge : cheveux blancs et très longs, soutane, etc. Il m’apprit de nombreuses choses sur George Onslow, s’enflamma sur les mérites de la musique de chambre romantique en France dans la première partie du XIXe siècle. S’étant enquis des raisons de ma connaissance de son grand homme, je lui expliquais et promis de lui donner une copie d’un enregistrement que j’avais pu me procurer de quelques quatuors d’Onslow interprétés par les membres du Quatuor Julliard. Nous nous revîmes plusieurs fois au même endroit dans les semaines qui suivirent...


Les disques de la vitrine étaient des disques vinyles pressés par un Centre Culturel de Valprivas, centre qu’il avait fondé en 1961 et où il devait mourir en 1996. Dès lors mon goût et ma curiosité mélomanes pour George Onslow ne sauraient plus s’éteindre. J’ai donc dû rencontrer en une trentaine d’années à peu près quiconque aura partagé en France la même passion...

C’est ainsi qu’il me fut donné de rencontrer Baudime Jam et ses musiciens du Quatuor Prima Vista. Quelle ne fut pas ma surprise de trouver chez eux le tempérament nécessaire à jouer Onslow sans trop accentuer son côté Haydn, en essayant de servir les tentatives du compositeur du côté de la musique à programme autobiographique, ou encore de la musique en quête du vernaculaire.


Rencontrer Baudime Jam tranchait singulièrement avec bon nombre des précédentes rencontres faites autour de George Onslow. Cet intellectuel auvergnat véritable – absolu aurait dit Vialatte – s’était mis dans la tête de tout faire et de tout dire pour et sur notre compositeur. Se lançant corps et âme à sa recherche, il parcourut le monde, enquêteur et ambassadeur à la fois : d’Anjony (4) à Zanzibar – où l’avait mené son autre passion : mettre de la musique sur les films muets d’avant 1930 – on le vit chercher beaucoup et ramener plus encore, mais ayant acquis une certitude : Onslow était mieux honoré là-bas que dans sa propre Auvergne... Il s’efforcera désormais de démontrer patiemment et savamment, et notamment dans ce livre, qu’il l’aimait tant cette Auvergne.


On comprend son enthousiasme, et toutes ses aigreurs aussi quand d’autres que lui, partageant la même passion vraisemblablement, se sont amusés à lui chercher de mauvaises querelles. Son intelligence fut de mépriser, d’oublier et de s’atteler encore plus à la tâche.


Ainsi est né un engagement durable fait de concerts, de manifestations, expositions, interventions, colloques, à travers la planète... mais surtout dans son pays d’Auvergne. Rendre à son Auvergne le meilleur musicien français avec Berlioz de l’époque romantique. Il donne ce faisant un saisissant tableau socio-ethnographique des temps philhellèniques où l’Europe d’après les secousses révolutionnaires et impériales se remodèle pour longtemps. Tableau saisissant aussi de ce qu’il en subsiste aujourd’hui en Auvergne : châteaux brûlés, détruits, famille dispersée, disparue, œuvres oubliées, etc.



Altiste de talent, accompagné de la merveilleuse violoniste Elzbieta Gladys, et des interprète de son quatuor, Prima Vista, il sème chaque année dans son pays d’Auvergne la vraie passion musicale : celle du cœur de l’Auvergne. Il sait, dans les châteaux, les églises et autres salles de concert de son pays, dire avant et après la musique ce qui la justifie : la passion d’un homme et d’une époque pour l’épanchement des sens, à la manière des romantiques, autant que leur goût de l’harmonie sublime.


Clermont-Ferrand, Auvergne, 2011.

À suivre pas à pas, comme il l’a fait, le parcours exemplaire de cet aristocrate auvergnat, ses pérégrinations durant l’époque révolutionnaire, son souci constant d’être utile à son pays pendant la Restauration sans être insensible au destin des autres, son besoin permanent d’être dans un terroir, Baudime Jam a voulu montrer l’exemple d’une époque – révolue ? – où le destin individuel n’était sans doute pas dissociable d’un destin collectif...


Il adresse à tous ceux qui voudront bien l’entendre – édiles locaux et amateurs éclairés – un conseil et un avertissement : conseil de tempérance dans la menée des affaires personnelles comme des affaires publiques dont on pourrait avoir la charge ; avertissement aussi qu’il n’est d’identité véritable qui ne se préoccupe de sa dimension culturelle et patrimoniale, et que l’identité auvergnate, si elle n’est plus à forger, pourrait bien se dissoudre et disparaître tout à fait si on n’y prenait garde...


La musique est le plus abstrait de tous les arts, mais dans ses tourments mathématiques se dessinent aussi les pulsions d’une langue, les pulsations d’un cœur, les géométries des espaces de l’imagination créatrice. George Onslow qui, comme le remarque Baudime Jam, a su puiser la matière-même de sa création sonore dans les bruits de son temps et de son pays en était certainement intimement convaincu. À nous de l’entendre encore pour mieux écouter les bruits de notre époque. Armés que nous serons de cette expérience musicale qui doit autant aux Monts d’Auvergne qu’aux vastes espaces de l’Europe centrale, nous affronterons mieux les épreuves qui ne manqueront pas de surgir, menaçant sans doute l’identité auvergnate dans ce qu’elle a de plus profond. Merci à Baudime Jam de nous l’avoir – avec vigueur mais discernement – rappelé. Cela fait de lui un auvergnat épatant.


Paris, Ile-de-France, juin 2011.

Son livre d’aujourd’hui me ramène si facilement aux pochettes sobres et belles des 33 tours de Saint-Mandé voulus par Carl de Nys, abbé belge mais auvergnat d’adoption comme moi parce qu’amateur des musiques authentiques : celles qui ne mentent pas et qui donc ne meurent pas.


Jean-Jacques Le Moan

Association Onslow d’Auvergne (Od’A)

Paris, le 16 juin 2011





1. Baudime Jam, George Onslow, Les Éditions du Mélophile, 2003. Baudime Jam a par ailleurs entrepris la première édition moderne des quatuors de George Onslow permettant ainsi aux musiciens d’aujourd’hui un accès plus facile aux œuvres du compositeur...

2. Laurie, petit village du Cantal à quelques kilomètres de Blesle (Haute-Loire), abritait le château aujourd’hui disparu des Bourdeilles, famille maternelle de George Onslow.

3. L’abbé Carl de Nys (Eupen, Belgique, 1917-Valprivas, Haute-Loire, 1996) aura été un des musicologues les plus influents de la seconde moitié du XXe siècle. Journaliste à La Croix et à Diapason, homme de radio, il participa à de nombreuses entreprises musicologiques : redécouverte du Te Deum de Charpentier, des œuvres des fils Bach, multiples mises en valeur de certaines œuvres méconnues de Haydn ou de la musique religieuse de Mozart... Mais il se passionne aussi pour George Onslow dont il permet de rejouer les plus belles pages et qu’il fait enregistrer par les meilleurs musiciens grâce au Centre Culturel de Valprivas qu’il fonde avec Hélène Salomé en 1961 et où il décèdera en 1996.

4. Anjony est un château du XVème siècle conservé intact dans un site merveilleux dans le Cantal, la vallée de la Doire. Propriété depuis cinq siècles de la même famille. Les Léotoing d’Anjony ont accueilli à plusieurs reprises dans leurs murs la musique de George Onslow et le Quatuor Prima Vista.

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